Au cœur de Marrakech, bien que les murailles de la médina gardent certains secrets du passé, nous avions envie de vous livrer ceux des femmes qui ont largement contribué au rayonnement de Marrakech. Au fil des siècles, ces femmes ont laissé une empreinte significative sur l’Histoire et le développement de « la ville ocre ». On le sait car c’est aussi le cas chez nous, l’Histoire a tendance à oublier, pour ne pas dire occulter, les réalisations et les succès au féminin pour ne retenir que les masculins. Il est donc temps de remettre les choses à leur juste place, et de vous présenter ces femmes dont on parle peu. Dur dur de faire un choix parmi toutes ces histoires et ces parcours de vie remarquables, donc si vous pensez à d’autres femmes, n’hésitez pas à nous parler d’elles en commentant cet article
Zaynab Nefzaouia (1039 - 1072)
C’est à Zaynab Nefzaouia que l’on doit la création de la ville de Marrakech (et oui, rien que ça !). Née à Aghmat dans l’Atlas marocain en 1039, Zaynab Nefzaouia est devenue, au fil du temps, une femme d’une grande influence. Rester spectatrice d’un monde dominé par les hommes était inimaginable pour elle. Conseillère de son mari Youssef Ibn Tachfin (le fondateur et le premier sultan de la dynastie des Almoravides au 11e siècle), c’est elle qui a conceptualisé la cité ocre, en a élaboré les plans, en a déterminé l’emplacement et le nom. Elle était fréquemment impliquée dans des négociations diplomatiques, un rôle qu’elle exerçait si bien qu’on la qualifiait de magicienne, en raison de son éloquence remarquable. Zaynab Nefzaouia, par son exemple, a eu un impact sur la situation des femmes de l’époque. Ainsi, grâce à elle, les princesses de son temps ont été autorisées à participer à la vie politique.
Hafsa bint al-Hajj al-Rakuniyya (1135 - 1191)
Hafsa, d’origine berbère, est née à Grenade sous la domination almoravide. Elle est notamment célèbre pour ses poèmes amoureux échangés avec le poète Abu Jafar Ibn Said. Grâce à sa poésie d’une grande qualité littéraire, sa beauté et son implication, elle fut envoyée à Rabat en 1158, où elle a obtenu l’autorisation de tenir un salon littéraire, connu sous le nom de Rakuna. Quelques années plus tard, Hafsa s’est consacrée à l’enseignement et a accepté l’invitation du Calife Abu Yusuf Yaqub al-Mansur pour éduquer les princesses almohades à Marrakech, où elle a demeuré jusqu’à sa mort en 1191. Son engagement dans l’enseignement a laissé une marque sur les générations futures.
Lalla Zuhra al-Kush (? - 1610)
Surnommée la Colombe de Marrakech, Lalla Zuhra faisait partie des saintes reconnues dans la ville ocre. Son tombeau, situé près de la mosquée de la Koutoubia à Marrakech (lors de votre prochaine visite, notez le petit monument blanc surmonté d’une coupole sur le place de la Koutoubia), est devenu un lieu de pèlerinage depuis son enterrement au 18e siècle. Son histoire est enveloppée de mystères et de légendes.
Lalla Zuhra serait la fille du cheikh (chef de tribu) Abd Allah al-Kush, mais sa généalogie tout comme les détails de sa vie restent très flous. Malgré de nombreuses recherches, nous n’avons pas réussi à en apprendre plus sur elle, mis à part qu’elle aurait été assassinée car son succès (sans plus de détails) dérangeait les autorités dirigeantes. Quoi qu’il en soit, c’est plutôt après sa mort que Lalla Zohra est devenue une figure emblématique pour les femmes locales. Aujourd’hui encore, son tombeau est un lieu où de nombreux fidèles lui rendent hommage, envoyant même leurs enfants pour y être bénis. Selon la croyance populaire, elle accomplit des miracles la nuit en survolant la médina de Marrakech sous la forme d’une colombe.
Ouidad Tebbaa (1961)
Ouidad Tebba est l’une des personnalités les plus influentes de Marrakech. Docteure en littérature française et professeure, elle a été doyenne de la faculté des lettres et des sciences humaines de Marrakech entre 2010 et 2015. Puis, membre de l’UNESCO en paysage et environnement, elle se bat pour la sauvegarde du patrimoine et publie de nombreux articles. Elle a notamment activement œuvré à la reconnaissance de la place Jemaa El Fna en tant que patrimoine oral et immatériel de l’Humanité par l’UNESCO, et a également reçu, avec un groupe d’experts, le prix Carlo Scarpa pour le travail réalisé autour du Jardin de l’Agdal.
Depuis le 1er septembre 2020, elle a pris ses fonctions en tant que Directrice régionale de l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) en Afrique de l’Ouest. Son objectif est d’accompagner au plus près ses universités membres dans les défis qu’elles ont à relever : transformation numérique, démarche de qualité, bonne gouvernance. Elle souhaite porter un intérêt particulier à la jeunesse, à ses attentes et à ses besoins. Ouidad Tebbaa incarne une figure de Marrakech, alliant une carrière académique remarquable à un engagement passionné pour la préservation du patrimoine et pour le développement de l’éducation.
Fatima Zahra Mansouri (1976)
Fatima Zahra Mansouri est une avocate et femme politique marocaine. Depuis son entrée en politique en 2008, elle a été une pionnière pour les femmes dans la sphère politique marocaine, devenant d’abord la première femme maire de Marrakech de 2009 à 2015. Sa carrière est composée d’étapes et de réalisations importantes qui l’ont distinguée dans le monde politique, tant à l’échelle locale que nationale. Son parcours remarquable a démontré que les femmes peuvent jouer un rôle important dans la gouvernance d’une ville, voire d’un pays.
Nora Belahcen Fitzgerald (1979)
Nora est née et a grandi au Maroc et est d’origine américano-marocaine. Dans les années 1970, ses parents quittent la Californie pour s’installer au Maroc. Nora a donc grandi dans une société dans laquelle la pauvreté a toujours été visible. Au quotidien, elle observait autour d’elle des femmes mendier, installées aux coins des rues dans l’espoir de recevoir quelques pièces. Choquée de voir autant de femmes mendiantes avec des bébés dans leurs bras, une amie qui lui rendait visite au Maroc supplie Nora de venir l’aider à secourir l’une d’entre elles. Ce jour-là, Nora fait l’une des rencontres les plus bouleversantes de sa vie : celle d’une femme, mendiante, célibataire et avec deux enfants, qui vit dans une chambre qu’elle loue 300 dirhams (30€) par mois. Rapidement, elle mobilise son réseau d’amis et sa famille pour venir en aide à cette femme. Elle s’inspire du projet associatif de Aicha Ech-Chenna qui vient en aide aux mères célibataires à Casablanca.
C’est en novembre 2012 que Nora crée l’association Amal, organisation à but non lucratif. Son restaurant ouvre véritablement ses portes quelques mois plus tard en avril 2013. L’objectif de cette initiative est d’améliorer la situation socio-économique des femmes provenant de milieux défavorisés en les formant à des métiers dans le domaine des arts culinaires. Cette association se présente sous la forme d’un centre de formation dédié à ces femmes, ainsi que d’un restaurant solidaire ouvert au grand public (nous vous conseillons d’ailleurs leur couscous le vendredi midi : reservation imperative !). Tous les fonds générés par le restaurant sont ensuite réinvestis dans la formation des bénéficiaires. Amal signifie « espoir » en arabe. Un espoir que Nora veut redonner à ces femmes aux parcours souvent compliqués. La plupart d’entre elles sont des veuves, des mères célibataires ou victimes de violences mais, elles ont toutes pour point commun : une réelle volonté de s’en sortir.
Ces femmes, chacune à leur manière, ont contribué à façonner le tissu culturel et historique de Marrakech. Malgré les préjugés auxquels elles ont été confrontées en raison de leur genre, elles ont surmonté les obstacles et ont laissé une empreinte significative sur l’Histoire de Marrakech.
Pour approfondir le sujet, et découvrir plein d’autres femmes ayant eu un impact sur l’Histoire marocaine dans son ensemble, nous vous conseillons la visite du Musée de la Femme à Marrakech. Ce petit musée, ouvert en 2018, a pour ambition de mettre en avant le rôle des femmes marocaines dans le cercle économique, sociétal, politique et culturel. Le rez-de-chaussée est un hommage à la femme marocaine, qu’elle soit militante pour l’indépendance comme Malika El Fassi, pionnière dans l’aviation comme Touria Chaoui, brodeuse, cuisinière ou femme au foyer. A l’étage, une salle d’exposition temporaire accueille des artistes marocaines de talent. Enfin, montez jusqu’à la terrasse, très agréable pour siroter un thé accompagné d’une petite pâtisserie, ou manger sur le pouce.